Extrait du livre " l’épopée du lieutenant Léon Stojowski "

 

EXTRAIT n°1 " la vie en Pologne "                          

Léon Stojowski prit un dernier repas en compagnie de ses hommes, et se mit en route sans perdre un instant. Le soleil continuait de briller, il n’y avait pas un souffle de vent, tout aurait pu être si calme s’il n’y avait pas eu cette crainte de voir apparaître dans le ciel et à n’importe quel moment ces avions tant redoutés par l’armée mais aussi par toute la population civile .

Vêtu de sa seule tenue de combat, le lieutenant enfila un sac à dos rempli de nourriture et partit en empruntant un sentier forestier qu’il connaissait bien. Tout au long de ces quinze kilomètres de marche, les images d’une jeunesse déjà oubliée, d’un bonheur perdu défilèrent dans sa mémoire .

À peine adolescent, il prenait ce  même petit sentier pour rejoindre ces amis montagnards pendant les vacances scolaires. Il passait des journées entières en leur compagnie adorant vivre à leur rythme; c’est à dire au rythme de la nature....

Ces gorales passaient tout l’été dans la montagne auprès de leur troupeau, aussi n’étaient-ils pas mécontents de voir un garçon leur rapporter du tabac, de l’orge perlé, de la farine et des allumettes. Parfois même ils l’autorisaient à rester le soir pour la veillée.

Ces veillées étaient de véritables féeries où se mêlaient les chants, le feu, les histoires à n’en plus finir, et cette musique aux tonalités dissonantes où la cornemuse se mêle au violoncelle et la clarinette se marie au violon.

Il est impossible d’oublier de tels moments qui sont resté gravés à jamais dans la mémoire du jeune Léon Stojowski. Il n’était alors qu’un gamin mais c’est auprès de ces montagnards qu’il apprit à connaître la nature, la liberté, la valeur des choses simples. Ces hommes de la montagne savaient donner un sens aux mots qu’on utilise tous les jours sans bien les connaître. Après une nuit passée dans un chalet sous une peau de mouton, le jeune Stojowski repartait dès l’aube le sac rempli de fromages, de crème fraîche, et l’esprit embué par les images de la veille. Toute sa vie, il se souviendra de ces instants de bonheur passés dans les montagnes qu’il aime tant; les Carpates.

 

 

 

Pour descendre dans la vallée, il fallait longer un torrent appelé Bastrzyca qui semblait sortir de la roche... l’eau était si claire que l’on pouvait voir les poissons nager et essayer de lutter contre le courant. La nature était partout présente belle et même envahissante. Le jeune Léon qui aimait la pêche, était fier de ramener des truites à la maison que sa mère préparait pour le repas. Il aimait aussi passer des heures a contempler sa montagne; au loin les sommets enneigés le faisaient rêver.

Son père lui avait appris un jeu simple qu’il adorait; les yeux fermés, il fallait donner un nom à tout ce que l’on pouvait entendre... le vent dans les branches des arbres, les gargouillis du torrent et surtout le chant des innombrables espèces d’oiseaux qu’il avait appris à reconnaître. C’est ainsi, qu’un jour, en ouvrant les yeux il se retrouva face à un sanglier; on ne sait pas qui des deux eu le plus peur mais ce qui est sur, c’est qu’ils détalèrent tous les deux aussi vite qu’ils purent chacun dans une direction opposée et sans se retourner...

 

 

Avant de retrouver le village, il fallait aussi traverser la forêt constituée de pins, de sapins et de mélèzes, arbres majestueux dont la couleur change avec les saisons. Au printemps, tous les enfants du village cueillaient les fleurs des champs, pour aller les vendre le lendemain sur la place du marché , histoire de gagner quelques zlotys.

L’automne, les femmes et les enfants partaient a la cueillette des champignons, et des myrtilles sauvages. Plus qu’un plaisir, c’était un véritable bonheur de remplir les paniers de cèpes et de bolets. Le soir, toute la famille triait, nettoyait, lavait les champignons avant de les faire sécher, pour qu’il soit possible d’en manger toute l’année.

Le jeune lieutenant Stojowski pensait, en marchant, à toutes ces années de bonheur qui ressemblaient un peu au paradis sur terre, et qui étaient bien loin en ce mois de septembre 1939....

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EXTRAIT n°2 " rejoindre la France à tout prix "

Le train mit une éternité à parcourir les deux cent cinquante kilomètres nécessaires pour atteindre la Yougoslavie. Les multiples arrêts rendaient ce trajet pénible, et même insupportable. Et que dire du stress au passage de la frontière ?...Par bonheur, tout se passa sans problème si bien qu’en début de soirée, dans la banlieue de Zagreb, et dans un pays moins hostile, les cinq réfugiés purent enfin faire connaissance et ceci malgré les consignes de prudence de la baronne hongroise. C’est dans cette même région que le train s’immobilisa, forçant tous ses occupants à passer la nuit dans leurs compartiments.

Après le repas, Léon Stojowski se mit à la recherche d’un point d’eau mais c’est en revenant les bras chargés de bouteilles de bière qu’il gagna définitivement l’estime de ses compagnons d’infortune. La peur et les craintes d’une nouvelle arrestation avaient presque disparu, de sorte que les cinq hommes passèrent une grande partie de la nuit à refaire le monde dans une atmosphère presque chaleureuse. Le jeune lieutenant sympathisa plus particulièrement avec celui que les autres appelaient Marian, c’était un homme brillant, qui connaissait parfaitement la situation internationale et qui savait parler des heures sans lasser son auditoire. Le train prit la route de Ljubijana dès les premières lueurs du jour. La matinée fut calme, les fugitifs polonais essayant de rattraper les quelques heures de sommeil perdues la nuit. Peu avant midi, le convoi prit la direction de Trieste, première étape italienne. Les faux passeports hongrois et surtout les visas étaient sans aucun doute très réussis, puisqu’une fois de plus, le passage de la frontière ne posa aucun problème en dehors d’un laborieux changement de wagon. L’Italie était en soi une véritable découverte, tout d’abord par la vue de la Mer Adriatique que le train longea pendant un long moment. Quelle surprise pour un homme de la montagne qui n’avait vu la mer que sur ses livres de géographie ! Mais surtout ce fut la découverte d’un pays latin et d’une langue dont les accents étonnaient des hommes plutôt habitués aux intonations des langues slaves.

Il restait moins de quatre cents kilomètres à parcourir pour atteindre le pays dont tous se sentaient proches, et qui était synonyme de liberté, de démocratie, mais aussi de refuge et de sécurité. La France, vainqueur du premier conflit mondial, qui avait fait renaître la Pologne de ses cendres en 1918 représentait la plus noble forme de la civilisation moderne. Malgré la grande déception de la non intervention du mois de septembre, tous les réfugiés n’avaient qu’une seule idée en tête, continuer la lutte au coté de leur allié de toujours. Ils n’imaginaient pas un seul instant que cette nation pouvait perdre la guerre.

Mais avant d’atteindre cet " eldorado ", il fallait encore traverser Venise, Vérone, Milan et Turin, des villes qui évoquaient pour les âmes livresques des scènes romanesques dans des lieux empreints d’une poignante beauté.                                                                                                                Contrairement à la France et à l’Angleterre, l’Italie n’était pas à cette époque en état de guerre, ce qui allait grandement faciliter le transit des cinq faux hongrois. À la fin de cette année 1939, ce pays cherchait encore à consolider des alliances qui correspondaient le mieux à ses intérêts mais aussi à sa situation politique. En 1926, sept ans avant que Hitler ne devint le maître de l’Allemagne, Mussolini s’était imposé comme le premier dictateur fasciste en Europe. Mais " le führer " n’allait pas tarder à prendre l’initiative en créant l’axe Rome-Berlin le 1er novembre 1936. Les deux pays furent longtemps en " concurrence ", l’Italie ne voulant pas être le vassal de L’Allemagne. C’est ainsi qu’au mois d’août 1939 Mussolini affirma que l’intérêt de l’Italie était de rester à l’écart du conflit germano- polonais et d’éviter toute guerre avant 1942. Cependant, il ne résistera pas à l’envie de voler au secours de la victoire allemande le 10 juin 1940 afin de réaliser ses aspirations nationales sur Nice, la Savoie, la Corse, la Tunisie et Djibouti. Hélas pour ses ambitions, les troupes transalpines seront violemment repoussées dans les montagnes par les chasseurs alpins français et ceci malgré l’extrême faiblesse de leurs effectifs.

Pour la deuxième fois consécutive, les officiers polonais durent passer la nuit dans leur train, cette fois ci sur une voie de garage de la gare de Turin. Sachant qu’il restait environ cinquante kilomètres à parcourir pour atteindre la France, les cinq hommes commençaient vraiment à s’impatienter. Léon Stojowski essaya bien d’en savoir plus sur cette frontière, mais ses maigres connaissances en latin qui dataient du lycée ne lui permettaient pas de converser avec les autochtones d’une manière très efficace. Le lendemain matin, il fut cependant ravi de voir que le train abordait les premiers lacets d’une montagne qu’il ne connaissait pas mais qu’il trouvait déjà merveilleuse .Quant aux douaniers italiens, de toute évidence ils ne faisaient pas beaucoup de différence entre Roumains, Hongrois, Polonais et Yougoslaves. C’est ainsi que le train pénétra sur le sol français dans la matinée du 15 novembre 1939.

Le compartiment était soudain devenu silencieux ; découvrir ce pays dans un cadre splendide à près de mille cinq cents mètres d’altitude était vraiment fabuleux ! C’est aussi avec un peu de nostalgie que nos réfugiés admiraient les sommets enneigés des Alpes qui défilaient devant leurs yeux et qui leur rappelaient les Carpates polonaises. Mais avant toute chose, ils étaient soulagés, et pouvaient se féliciter d’avoir atteint leur but commun . Les poignées de mains et les embrassades se succédaient, qu’elle était belle cette France dont chacun avait tant rêvé ! Pouvoir parler librement, sans crainte d’être entendu, soupçonné et dénoncé, était synonyme de bonheur ! La sensation de la liberté enfin retrouvée procurait une joie intense que les mots ne pouvaient exprimer. Le lieutenant Stojowski avait pleinement rempli son contrat envers la comtesse Palawicini, il lui fallait maintenant rejoindre Paris pour y retrouver ses compatriotes. Entre temps, les compartiments s’étaient remplis de soldats français se dirigeant vers le nord du pays c’est à dire vers le front. En ce mois de novembre 39, la France vivait la " drôle de guerre " dans une apparente confiance. Les hostilités n’ayant pas commencé, le moral des soldats et l’ambiance dans le train étaient vraiment sympathiques.

C’est dans cette atmosphère bon enfant que le convoi pénétra en gare de Lyon. Les cinq Polonais furent très étonnés de voir leur train entouré par un véritable cordon de gendarmes qui commencèrent la fouille systématique de tous les wagons..Au bout de quelques minutes, deux officiers entrèrent dans le compartiment, l’un d’eux s’adressa aux réfugiés dans un polonais très approximatif et dit : Le général Kukiel est-il parmi vous ? Et c’est avec stupéfaction que Léon Stojowski vit se lever un de ses compagnons de voyage, celui qui se faisait appeler Marian et qui était de loin le plus sympathique.

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EXTRAIT n°3 " La prise d’Ankenes et de Narvik "

L’ordre d’attaque tomba à minuit simultanément dans toutes les unités. Sur la presqu’île d’Ankenes les fonds de vallées étaient totalement inondés. Seules persistaient de grandes plaques de neige sur les flancs des collines. La progression des Polonais fut d’abord gênée par une multitude de ruisseaux et de petits lacs. Le capitaine Zamojski avec à ses côtés son ami Stojowski avaient pris la responsabilité de l’aile ouest. Pendant près de deux heures l’artillerie des navires britanniques se déchaîna sur les positions ennemies mais les Allemands avaient fort bien aménagé des nids d’armes automatiques en utilisant des blocs rocheux d’où il était très difficile de les déloger. Léon Stojowski regardait à l’aide de ses jumelles la première ligne de défense allemande quatre cents mètres devant lui. Cinq Allemands en armes, sortirent de leurs trous et s’avancèrent vers les chasseurs. Sans qu’il eut le temps d’analyser cette situation les cinq hommes furent fauchés par une rafale de fusil-mitrailleur. Personne ne saura jamais ce qu’ils voulaient... Alors se déchaîna le tir ennemi qui semblait venir de toute part. Les Polonais, pourtant prévenus furent totalement surpris et impuissants à réagir. Seules les grenades auraient pu débusquer les défenseurs mais ceux-ci étaient tous hors de portée. Ce premier contact ressemblait fort à une embuscade. En fait, ce fut une véritable hécatombe, puisque dix minutes plus tard, des trente cinq hommes de la section Stojowski, quinze seulement réussirent à battre en retraite. Finalement, après plusieurs heures de combat, chasseurs de montagne, parachutistes et marins allemands décrochèrent et trouvèrent refuge dans les premiers faubourgs de l’agglomération.

Les attaquants n’eurent pas le temps de se lamenter sur leur sort, il leur fallait avancer vers les premières maisons. On désigna rapidement deux infirmiers pour rester auprès des blessés. Aux abords de la ville, les chasseurs bénéficièrent de l’appui de deux chars français. Hélas, le premier tomba en panne dès le début de l’opération, et le second fut arrêté par une barricade... Les soldats du lieutenant colonel Dec progressèrent par bonds, de maison en maison, de quartier en quartier. Sans doute trop vite puisqu’ils se retrouvèrent complètement isolés du reste de l’unité. C’est précisément ce moment que choisirent les Allemands pour déclencher une contre-attaque qui pénétra facilement dans le dispositif polonais. Il s’en fallut de peu que la totalité du Poste de Commandement ne soit fait prisonnier ! Seuls le chef du bataillon et six soldats parvinrent à s’échapper. Cette incroyable audace des défenseurs faillit faire basculer le sort de la bataille. À sept heures du matin, la compagnie Zamojski dut finalement se replier pour ne pas être totalement anéantie. En attendant du secours, Léon Stojowski et ses quelques rescapés préférèrent rester cachés dans un hangar non loin du centre ville. Dans la bagarre, il avait même dû porter sous la mitraille un de ses hommes blessé. À ce moment de l’attaque, les adversaires étaient tellement enchevêtrés qu’on ne pouvait plus faire intervenir l’artillerie. La situation resta confuse jusqu'à la mi-journée. Enfin, les renforts tant attendus du major Joszkowski permirent de rétablir la situation grâce à une progression lente et méthodique. Mais il ne fallut pas moins de trois assauts pour faire reculer des Allemands tenaces qui n’abandonnèrent leurs positions que peu de temps avant minuit. La section Stojowski ou ce qu’il en restait put enfin sortir de son trou et réintégrer sa compagnie. À l’aube du vingt neuf mai, les Polonais se rendirent enfin maître du centre- ville. Ankenes était tombé.

Une grande partie des défenseurs de la ville essaya de s’échapper en traversant le fjord en barques mais un canon de 25 fut mis en batterie et coula la dernière embarcation qui transportait une soixantaine de soldats allemands. Ceux-ci regagnèrent la rive à la nage et furent fait prisonniers. À Narvik, le débarquement avait réussi et tous les objectifs étaient atteints. Les troupes françaises avaient fait du bon travail, l’ennemi se repliait en hâte le long des crêtes poursuivi par les tirs de l’artillerie. Au petit matin, les motocyclistes de la Légion firent leur jonction avec les chasseurs de Podhale au fond du Beisfjord.

Pour la première fois depuis le début de la guerre, le succès était au rendez-vous ! En un peu plus de vingt quatre heures, toute la presqu’île de Narvik était tombée aux mains des Alliés. Le Général Bethouart put savourer son succès en parcourant la cité dès le 29 mai.

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EXTRAIT n°4 " la campagne de France "

16 juin.

Un petit village dans les marais de Dol. À environ cent trente kilomètres de Brest, et vingt de St Malo.

Le tireur d’élite de première classe Hanz Jurgend s’était installé dans le clocher du bourg. De cet endroit à la vue imprenable, il balayait l’horizon à travers la lunette de son fusil à répétition. Le haut commandement allemand avait formé une troupe de tireurs d’élite choisit parmi plusieurs régiments. Leur mission consistait à s’infiltrer dans les lignes ennemies et, à longue distance, tuer si possible un soldat ou mieux, un officier évoluant au milieu des siens. Si le coup réussissait, l’effet était garanti : " La 5ème colonne... L’ennemi est parmi nous... Nous sommes trahis... Sauve qui peut...etc. "

Jurgend stoppa le lent mouvement latéral qu’il imprimait à son Mauser. Désormais, un soldat vêtu d’une grande cape et d’un béret occupait le centre de la lunette ; une sentinelle sans doute. L’Allemand promena la petite croix de son viseur de haut en bas, s’attarda un instant, et remonta lentement. Maintenant, la petite croix s’inscrivait exactement entre les omoplates de la silhouette. Calmement, le tireur appuya sur la détente. Le bruit de la détonation se répercuta dans la plaine. La sentinelle eut un soubresaut, tomba à genoux et partit pour un monde meilleur. Quelques instant plus tard, un sergent tout essoufflé s’approcha du lieutenant Stojowski: 
--- Ils ont eu Nowak mon lieutenant !                                                                                              
--- Comment ça ? À part les Stukas, nous n’avons pas vu un seul Allemand depuis notre arrivée.          --- Il faut croire qu’eux, ils nous ont vu, mon lieutenant, ça doit être un de leurs francs tireurs. En tout cas, Nowak est bel et bien mort. Il semble que le coup soit parti du clocher. Que fait-on mon         lieutenant ?                                                                                                   
--- D’abord, mettez-vous tous à l’abri, et demandez deux volontaires pour essayer de débusquer ce 
salaud. Qu’ils reviennent avant la tombée de la nuit. " Léon Stojowski n’avait pas le moral. Il se       demandait ce qu’il faisait à cet endroit, avec autour de lui trente cinq hommes armés de fusils, de       quelques grenades et d’un seul pistollet-mitrailleur...            
Toutes les compagnies de son bataillon avaient ainsi été dispersées aux quatre coins du bocage breton avec un armement minimum (les armes lourdes étaient restées sur le Batory). Pourtant les ordres qu’il venait de recevoir du capitaine Nejman étaient clairs et sans équivoque : " Prenez position à l’entrée de ce village et ralentissez l’avance de l’ennemi autant que vous le pourrez "

A Brest, la veille, la journée avait commencé par un grand défilé dans la ville devant une foule en délire. Les filles lançaient des fleurs aux soldats et se jetaient à leur cou. Après plus d’un mois de campagne dans les pays nordiques, c’était le bonheur ! La population était persuadée que les vainqueurs de Narvik ne feraient qu’une bouchée de l’envahisseur allemand. Plus tard, au calme, le Général de division français Charbonneau, responsable de la défense de cette région présenta ainsi son plan :

" Messieurs, avec votre concours, cette ville va se transformer en une véritable forteresse. L’état-major exige que le réduit breton résiste et repousse le rouleau compresseur allemand.Une première ligne de défense sera distante de trente kilomètres de Brest, elle passera par Le Faou, Daoulas, Landerneau, Lesneven avec une tête de pont à Landivisiau.                                                                                  La seconde ligne sera située à une distance de douze à quinze kilomètres de la première et comprendra les bourgs de Plougastel, Guipavas, Kerviniou et St Renan. Quant aux chasseurs de Podhale, ils prendront le train dès aujourd’hui pour occuper la zone marécageuse du pays de Dol. Cette région qui n’avait aucune importance stratégique, se situe à environ cent trente kilomètres de Brest, les responsables de la brigade polonaise, ne surent jamais pour quelle raison on les envoya à cet endroit...

Complètement isolée et sans aucun moyen de communication, la situation de la section Stojowski tenait du tragi-comique. Tandis que notre lieutenant espérait l’arrivée d’une estafette porteuse d’ordres plus précis, ses hommes, après avoir creusé des tranchées de part et d’autre de la route, attendaient avec impatience l’arrivée d’une camionnette qui devait amener le repas du soir. Léon Stojowski en était là de sa méditation lorsque deux coups de feu tirés à intervalles très rapprochés le firent sursauter. Pour le tireur d’élite de première classe Hanz Jurgend, la chasse était terminée. Quelques minutes plus tard, l’on vit apparaître les deux héros vengeurs qui n’étaient pas peu fiers de brandir leur prise de guerre: un magnifique fusil à lunette.

À vingt heures, les chasseurs de Podhale n’avaient toujours pas mangé, aussi l’on décida d’envoyer " une expédition " dans le village afin de trouver quelque nourriture. Les hommes de la patrouille furent très étonnés de trouver la plupart des maisons abandonnées, aussi leur marché fut-il rapide et très abondant. Ce soir là, le  cuistot  du groupe put préparer un menu digne d’un général : soupe aux potirons à l’ancienne, pâté de campagne, canards aux navets, fromages frais, et corbeilles de fruits de saison. Sans oublier le café accompagné d’un calvados qui ravit toute la troupe et qu’il fallut rationner pour éviter l’émeute.

La matinée du 17 fut relativement calme, les soldats en profitèrent pour dormir tout leur soûl. Les bruits de la canonnade étaient lointains et par chance aucun avion ne se montra dans le ciel. Malgré cela, Léon Stojowski était de plus en plus inquiet. Non seulement il n’avait reçu aucun ordre, mais le fait que le village se soit vidé de ses occupants le préoccupait beaucoup. Même la nourriture du bataillon ne leur arrivait plus...Ne les aurait-on pas oublié dans le fin fond de ces marais bretons ? Le capitaine Zamoyski, c’est sûr, en savait beaucoup plus, mais où pouvait-il bien être ?

Les Polonais, qui commençaient à avoir une certaine habitude des retraites, se demandaient aussi où était passé le flot inexorable des réfugiés qui les accompagnaient toujours. Aussi, pour essayer d’en savoir un peu plus, le lieutenant décida d’envoyer des patrouilles de deux hommes dans toutes les directions. La plupart d’entre eux " empruntèrent " des bicyclettes ce qui facilita leur tâche. Pendant ce temps, le cuisinier commençait déjà à préparer un deuxième festin pour le repas du midi. À treize heures, les patrouilles rentrèrent sans aucune information. On pouvait se demander si notre section ne formait pas à elle seule, la totalité de la ligne de défense de cette région. À moins que cette ligne ne se soit complètement volatilisée. En fait, le désordre absolu qui régnait au sein du haut commandement, laissait chaque unité dans l’ignorance la plus complète. Fallait-il résister et avec quels moyens ? Fallait-il battre en retraite et ainsi désobéir aux ordres ? Toutefois, il paraissait difficile de fuir à pied à travers le pays de Dol, sans avoir la moindre carte mais surtout sans savoir quelle direction prendre... Une chose était évidente, jamais les Polonais n’eurent l’intention de se rendre sans avoir combattu.

Pendant ce temps, tous les états-majors français et étrangers préparaient officieusement leur fuite par la mer ou pire, prévoyaient tout simplement de déposer les armes. Sur le terrain, les liaisons quasi inexistantes entre les unités avaient plongé leurs responsables dans un grand désarroi. Pourtant, il ne se passa pas grand chose cette après-midi du 17 juin, Léon Stojowski en profita pour faire creuser une tombe pour le malheureux Nowak ; une rapide prière en guise de d’oraison funèbre, quelques pelles de terre et une croix de bois suffirent pour prendre congé de ce malheureux soldat.

18 juin, à 5 heures du matin. Les chasseurs de Podhale furent réveillés en sursaut par ce qui ressemblait à un véritable tremblement de terre. Le lieutenant Stojowski envoya quelques hommes à vélo pour qu’ils confirment ce que lui savait déjà : une colonne de blindés s’approchait du village. Quelques minutes plus tard cet oppressant vacarme cessa. Une fois de retour, les soldats, blancs comme des morts, expliquèrent qu’une cinquantaine de chars, sans doute des KW Mark2, s’étaient arrêtés à moins de deux kilomètres du bourg. En fait, les chasseurs ignoraient qu’ils étaient en présence d’une partie du " groupement Hoth " et que cette unité, qui avait investi Cherbourg la veille, était commandée par un certain général Erwin Rommel...Le lieutenant polonais, inquiet de la tournure que prenaient les événements voulait un maximum de détails sur cette colonne ennemie.    

Les hommes, nerveux, étaient tous à leur poste et semblaient attendre la décision de leur chef comme des accusés attendent le verdict d’un tribunal. Mais les événements allaient se précipiter puisqu’au même moment, on vit apparaître les habituels motocyclettes et side-cars qui précédaient généralement les colonnes de Panzers. A l’évidence, le commandement ennemi ne prenait plus la peine d’envoyer des unités fortement armées en éclaireurs, tant il était certain de ne rencontrer aucune résistance organisée. Les motards furent donc tous fauchés par le tir nourri et précis des Polonais. Alors qu’ils étaient en train de récupérer les armes et les munitions des Allemands, un camion civil se présenta sur la petite route. Le chauffeur, un paysan breton, sauta de son véhicule et s’adressa aux soldats :         " --- Si vous comptez arrêter ces engins de mort avec vos carabines autant vous rendre de suite mais si le cœur vous en dit, mon camion est vide et il paraît qu’à Brest, il reste quelques bateaux pour l’Angleterre... "                                                                                                                                                                                

Dans le même temps, Allemands, que le bruit de la fusillade avait alertés, s’étaient remis en route. La terre vibrait de nouveau, il ne restait plus que quelques secondes pour prendre une décision. Ce camion, sorti on ne sait d’où, était vraiment providentiel. Une pareille occasion ne se représenterait pas deux fois et le sacrifice d’une trentaine de soldats paraissait vraiment stupide et complètement inutile. En moins de dix secondes, la totalité des Polonais envahit le vieux citroën qui démarra dans un nuage de fumée blanche.

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EXTRAIT n°5 " le Batory en route vers Halifax "

5 juillet 1940.

Comme prévu, le Batory appareilla à l’aube pour retrouver dans le chenal deux vieilles connaissances, le Sobieski et le Monarch of Bermuda. Au large des côtes écossaises, ces trois paquebots rejoignaient cinq autres cargos britanniques eux même accompagnés du cuirassé Revenge, du croiseur Bonaventure et de quatre contre-torpilleurs. Dans le courant de la matinée, les bugles des haut-parleurs du Batory retentirent. Le Pacha allait faire une communications radio diffusée, ce qui ne présageait jamais rien de bon.

" C’est le commandant qui parle. Bonjour. " La voix était calme et bien timbrée. " Comme vous le savez, j’ai coutume, au début de chaque voyage, de vous informer aussitôt que possible de ce qui vous attend. Nous sommes désormais placés sous le commandement de l’amiral sir Ernest Russel Archer. Nous nous dirigeons vers Halifax au Canada. Je ne tenterai pas de minimiser les dangers. Les messages habituels de l’Amirauté nous signalent la présence de sous-marins et de corsaires ennemis dans les parages, mais nous aurons tout au long de cette route, une alliée de choix, la météo qui promet d’être exécrable. Vous avez tous dû remarquer l’aggravation du temps. Nous allons, je le crains rencontrer des conditions de temps anormales. Il est possible qu’elles empêchent les attaques des sous-marins. Au cours des deux dernières semaines, vingt huit bâtiments alliés totalisant cent trente neuf mille tonnes ont été coulés, je puis vous dire que nous ferons tout pour ne pas être les suivants sur cette longue liste.!  Je ne suis pas autorisé à vous en dire plus sur notre convoi mais sachez qu’il est d’une importance capitale. 0Bonne chance. Bonne chance et que Dieu nous garde ! " Les haut-parleurs se turent et le silence se prolongea. Personne ne parla ni ne bougea. Il en résulta un étrange, un surnaturel silence. Chacun essayait d’analyser, d’interpréter les dires du commandant.   Léon Stojowski, qui découvrait brutalement le monde de la mer, n’était quand même pas assez crédule pour croire que les anglais organisaient de tels convois et prenaient tant de précautions pour aller livrer du poisson aux Canadiens... D’ailleurs à bord, personne n’était dupe, et ceux qui avaient essayé de s’approcher de l’entrée des cales en avaient été très vite dissuadés par toute une section de la Military Police. La valeur supposée de cette cargaison avait fait naître une certaine nervosité parmi l’équipage, mais une fois en route, chacun n’avait plus qu’à faire de son mieux pour que tout se passe aussi bien que possible. De toute évidence, la première traversée de notre apprenti matelot ne s’annonçait pas de tout repos et celui-ci se demandait déjà s’il avait fait le bon choix en s’embarquant sur cette galère.

A ce moment du conflit, le danger résidait autant dans les attaques aériennes que dans les fameux U-boot. Les attaques des bateaux par les sous-marins se faisaient encore de manière isolée et en surface. Ceux-ci n’utilisaient la plongée que pour protéger leur fuite. La technique des meutes ne sera mise au point par l’amiral Dönitz qu’en septembre 1940.  Un troisième danger guettait les navires alliés : les mines magnétiques pour le dragage desquelles les bateaux Anglais n’étaient pas tous équipés.

11 juillet.

En trois jours, l’été écossais de Greenock avait fait place à un climat beaucoup plus rude et froid. La température ne dépassait pas le zéro. On avait donc ressorti les duffels-coats, les bonnets et les gants. Il faisait froid même dans les entreponts, quant au chauffage à air pulsé, il n’était pas très efficace. Les plafonds et les murs laissaient constamment filtrer des gouttes d’eau, et la condensation envoyait de véritables ruisseaux sur le parquet. Cette atmosphère froide et humide avait rendu malade la moitié de l’équipage. Quant à la météo, elle restait épouvantable, le vent s’était levé, et la mer continuait à se déchaîner. Les vagues gigantesques étaient plus qu’impressionnantes. L’étrave du navire qui s’écrasait dans les creux, rendait le sommeil des marins presque impossible. Malgré ces conditions difficiles, personne n’aurait oser se plaindre, l’absence de submersibles ennemis aurait pu faire endurer    n’importe quoi.                                                                                                                               Léon Stojowski qui voulait à tout prix qu’on le rassure, demanda à Wladek, son compagnon de cabine si le commandant du Batory serait à la hauteur de la situation. La réponse fut cinglante. " Notre pacha n’est pas un surhomme, il est tout simplement le plus grand marin que je connaisse. Il doublait le Cap Horn sur des trois-mats quand nous portions encore des langes ! " le matelot s’arrêta, puis reprit doucement : "La guerre sur terre se fait dans l’attaque où la défense d’un territoire. On se prépare à la bataille et on meurt dans l’action. Sur mer, tout est diffèrent, la mort peut arriver à n’importe quel moment et surtout quand on ne s’y attend pas. La peur sur un navire est quelque chose de naturel, on finit même par s’habituer à sa continuelle présence. Le poids que nous avons tous sur le cœur ne nous quitte jamais. Le meilleur remède contre cette trouille, est l’efficacité de chacun à son poste de travail. Sinon, il reste la prière..." Un peu honteux de sa question, l’apprenti-matelot se retourna sur sa couchette et essaya vainement de trouver le sommeil.

Vers minuit, l’esprit las et confus, les hommes entendirent la radio de bord leur annoncer qu’une importante avarie de machine forçait le Batory à réduire sa vitesse . Pour ne pas mettre en danger les autres bâtiments, l’amiral Ernest Russel Archer donna l’ordre au paquebot polonais d’abandonner le convoi et de faire route vers St Jean de Terre-Neuve. Les marins savaient très bien ce que cela voulait dire... ils se sentaient abandonnés, vulnérables et selon l’expression de Wladek, livrés aux fauves. Quelques minutes plus tard, une nouvelle information mit un peu de baume au cœur de l’équipage;  Le croiseur Bonaventure, commandé par le vice-amiral Jack Egerton, était chargé d’assurer la protection du Batory. Mais ces deux navires rencontrèrent de grosses difficultés pendant que les autres fonçaient sur Halifax. À l’aube, bien que le Bonaventure et le Batory roulassent encore fortement, la mer devint miséricordieusement plus calme. C’est à ce moment qu’un brouillard à couper au couteau s’abattit sur l’océan forçant les bateaux à rester immobiles pendant plus de douze heures... une éternité. Alors que la visibilité était nulle, le vice-amiral Egerton arriva malgré tout, à conserver le contact avec le Batory et à l’accompagner jusqu'à St Jean.

Les deux bâtiment repartirent à toute vapeur vers Halifax une journée plus tard. Le chef mécanicien Zygmund Kusk et son équipe avait fait un petit miracle en réparant la chaudière récalcitrante…. Pendant tout le temps que dura la traversée, à bord des navires de guerre les marins ne quittèrent pas les postes de combats. La nuit, les canonniers des 380 et des 150 dormaient à côté de leurs pièces. Les servants des " pom-poms ", emmitouflés dans leurs vestes, leurs manteaux, leurs casques, leurs chandails, se pelotonnaient à l’abri de leurs batteries antiaériennes. Quant aux canonniers solitaires des Oerlikons, ils luttaient contre le froid en enveloppant de leurs bras les tuyaux de vapeurs qui entouraient la passerelle. Malgré la tempête et le froid ils se tinrent tous prêts à ouvrir le feu. Le Bonaventure et le Batory entrèrent dans le port d’Halifax le 14 juillet. Les autres bateaux du convoi les avaient précédé la veille. Tous les navires furent immédiatement entourés par la police montée  canadienne. Veste rouge et chapeau de cow-boy sur la tête, les policiers canadiens furent une véritable curiosité pour les marins polonais. Mais c’est seulement pendant le déchargement de leur navire que ces mêmes marins apprendront qu’ils venaient de transporter le plus grand trésor qui n’eut jamais navigué sur les océans. Quatre cent quarante deux millions de livres en or et en valeurs venaient de parvenir intactes au Canada. Churchill et son cabinet venaient de gagner leur gigantesque pari: Sauver les richesses de l’Angleterre et préserver le nerf de la guerre avant une éventuelle et probable tentative d'invasion.

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